Bonjour M. Marounfa, vous êtes l’un des premiers organisateurs du championnat de lutte traditionnelle au Niger. Dites-nous comment a germé l’idée de transformer la lutte qui était, dans le temps, un évènement purement culturel organisé à une certaine période de l’année, en une compétition nationale ?
J’avais conçu et mis en œuvre le premier championnat national de lutte traditionnelle qui s’était tenu du 15 au 25 février 1975, à Tahoua. Il avait été organisé avec réussite grâce à la disponibilité des institutions de l’État, à la solidarité des populations de la ville de Tahoua et à l’engagement d’un groupe de personnes conscientes de l’enjeu que représentera un tel événement. L’idée d’organiser le championnat national de lutte traditionnelle m’avait habité depuis le 02 octobre 1972, date à laquelle j’avais soutenu à Paris, avec succès et félicitations du Jury, un mémoire intitulé ‘’l’Animation des jeunes pour le développement global au Niger’’. Dans ce mémoire, débuté par l’hymne national du Niger et m’inscrivant dans une démarche nouvelle, pour une société nouvelle, la société de développement, j’avais proposé plusieurs actions et programmes, parmi lesquels l’organisation d’un championnat national annuel de lutte traditionnelle.
De retour au pays, le Niger, les hautes autorités m’avaient fait l’honneur de mettre en application le contenu du mémoire en général et le championnat national de lutte traditionnelle en particulier. C’est ainsi que la ville de Tahoua avait été choisie pour abriter le premier championnat national de lutte traditionnelle qui s’était achevé avec le sacre de Kantou Ango, Champion de la première édition de cet évènement.
Quel était le but recherché à travers un tel évènement national ?
Le premier championnat national de lutte traditionnelle fut organisé à Tahoua dans la 2è quinzaine de février 1975. Pourquoi Tahoua ? Parce que Tahoua est une ville sportive où domine la lutte traditionnelle. Il y avait un lutteur devenu invincible du nom de Ajamba Na Moussoura Say Allah.
Ensemble avec l’artiste Dan Gourmou qui chantait ses exploits, ils avaient donné vie à la ville de Tahoua. Ajamba constituait un symbole, un modèle pour les jeunes qui s’identifiaient à lui. A un moment de sa vie, il avait connu l’abandon, sans ressources, il s’était converti en bénévole assurant la sécurité lors des combats de boxe traditionnelle à Maradi. Ajamba était assurément l’idole des jeunes de son époque ; mais l’autre raison fondamentale pour laquelle le 1er championnat avait eu lieu à Tahoua, c’était qu’elle était la seule ville, le seul lieu qui possédait une infrastructure pouvant accueillir l’événement. Il s’agit de l’infrastructure construite dans les années 1950 par un exploitant de salle de cinéma dénommé Baïss. Cette infrastructure abandonnée, mais non lézardée, avait été réaménagée par la Mairie de la commune de Tahoua. Il n’existait aucune arène sur toute l’étendue du territoire du Niger. Les buts recherchés à travers l’évènement étaient : l’unité nationale, la lutte contre l’exode rural et le sous-emploi chronique des jeunes.
Au fil des ans, le championnat de lutte traditionnelle a connu des mutations, l’intégration de nouvelles réformes et des brins de modernisme. Selon vous, est-ce qu’aujourd’hui le championnat évolue dans le même esprit que celui d’antan ?
Le championnat évolue dans le même esprit que celui qui l’a vu naitre. Cependant, on déplore des pratiques malsaines dans le déroulement de quelques éditions du championnat national de lutte traditionnel visant d’autres objectifs que celui de l’unité nationale, exemples : des combats sont truqués par mercantilisme sportif ; des refus de lutter de certains lutteurs donnent ainsi des victoires faciles à leurs adversaires.
Pour organiser le premier championnat national de lutte traditionnelle, on s’était approché plus de la tradition que de ce qu’on peut appeler la modernité. Six départements avaient participé à l’évènement : Diffa, Dosso, Maradi, Niamey, Tahoua et Zinder. Agadez qui n’avait pas une tradition dans le domaine de la lutte choisie, n’avait pas participé.
La méthode utilisée était celle que la société nigérienne avait secrétée pour l’organisation des combats de lutte, au niveau des communautés. Il s’agit de la méthode consensuelle. Certains avaient préféré la méthode conflictuelle. Or, en choisissant cette dernière et en l’appliquant, on aurait enregistré 30% de forfait dans les combats programmés, parce que les lutteurs ont des relations de parenté ou de proximité qu’il faut prendre en compte. Ce qui est certain, c’est qu’en 1975, la seule méthode sur le plan pédagogique et sociologique valable était la méthode consensuelle. Le sociogramme des lutteurs engagés dans la compétition établi, avait confirmé la nécessité de la méthode choisie.
Le sacre du champion Kantou Ango était suivi avec intérêt par le peuple du Niger. Les gratifications étaient : 1ère place, le champion : un cheval offert par le Préfet du Département de Tahoua et un sabre fourni par le Juge de Tahoua ; 2è place, un taureau offert par le Sous-Préfet de Tahoua ; 3è place, un bélier offert par le Maire de Tahoua. Contrairement à ce qui se dit, aucun de ces symboles n’était acheté au marché de Tahoua.
Cette année 2024, le championnat national de lutte traditionnelle est à sa 45è édition. De 1975 à 2024, le sabre et le cheval ont été identifiés pour servir de symboles de la lutte traditionnelle. Ils se sont imposés. Ils n’ont jamais été contestés dans leur rôle unificateur du peuple du Niger. Du sabre tout court, en 1975, on est arrivé au Sabre National qui a rallié tous les suffrages et autour duquel se cristallise l’adhésion de tout un peuple à la lutte qui libère.
Pourquoi les quatre éléments, le cheval, le sabre, le taureau et le bélier étaient choisis pour labéliser le championnat national de lutte traditionnelle ?
Le choix des symboles du championnat national de lutte traditionnelle n’est pas fortuit. Il résulte d’investigations menées en Décembre 1974 dans les Départements de Dosso, Niamey, Tahoua et Zinder. L’objectif était de savoir la représentation que les communautés se font des rencontres de lutte, des lutteurs invaincus et ce qu’elles leur offrent pour récompenser leur force, leur courage et leur invincibilité ; ce qui unit toutes les communautés dans leur existence, leur cohésion et leur bien-être social, dans le cadre de la lutte ; les attributs de la lutte. Le cheval, le sabre, le bœuf et le mouton ainsi que la parenté à plaisanterie, ont immergé comme des réalités profondes dans la communauté visitée.
Ainsi, le cheval, le sabre, le bœuf et le bélier avaient été retenus pour labéliser le championnat national de lutte traditionnelle dans sa première édition, en février 1975 à Tahoua. Cela s’explique, dans le monde rural, bénéficiaire de la revalorisation de la lutte, en vue de l’animer, de lui donner vie et de lui restituer toute sa quintessence perdue. Un cheval était un prestige et une nécessité pour se déplacer, communiquer et échanger utilement. Le cheval avait été utilisé par toutes les communautés pour leur engagement dans les guerres de manière à préserver leurs patrimoines ou à les agrandir. Les guerriers, à cheval, munis de leurs sabres, repoussaient toutes les agressions locales contre leurs communautés et résistaient face aux troupes coloniales françaises, elles-mêmes venues à cheval pour conquérir l’espace nigérien dans le souci de s’approprier ses richesses par la force. C’est cette constance du cheval à être un moyen de lutte qui a permis de le retenir pour symboliser le championnat national de lutte traditionnelle.
Pensez-vous qu’actuellement les choses qui donnent à la lutte son aspect traditionnel sont encore visibles dans les arènes ?
L’organisation du championnat national de lutte traditionnelle est marquée par des dépréciations et des innovations. Ce mouvement lié aux impératifs des combats et aux TIC ne peut être refusé parce qu’il apporte des progrès. Malgré donc les innovations qui rendent certains éléments traditionnels caducs, des choses qui donnent à la lutte son aspect traditionnel sont visibles dans les arènes : les instruments de musique spécifiques à la lutte existent. Utilisés par des musiciens traditionnels spécialisés dans la chronique de la lutte, ces instruments raisonnent comme communicateurs et intégrateurs. Les rythmes qui en découlent les distinguent des autres instruments de musique spécifiques à d’autres évènements traditionnels tels que le mariage, les travaux champêtres, la chasse, etc. Les lutteurs, torse nu, comme dans la tradition, portent toujours leur tenue, une sorte de jupette truffée de gris-gris et d’amulettes pour s’assurer la victoire. Avant le combat, les lutteurs psalmodient des incantations mystiques pour éloigner d’eux toutes les formes de dangers liés à l’envoutement dont ils ont peur.
Malgré les apports techniques, le sable demeure toujours l’élément indiqué pour accueillir les chutes. Le constat ainsi établi prouve que la lutte conserve l’essentiel de ses aspects traditionnels.
Quelles sont les évolutions majeures que vous aviez notées dans l’organisation de cet événement ?
L’organisation du championnat national de lutte traditionnelle a enregistré des évolutions majeures. Le code d’arbitrage et le règlement du championnat ont fait l’objet de plusieurs rencontres de révision, en vue de trouver un cadre juridique adéquat pour réduire les conflits, les oppositions, les réserves et les réclamations. Ce qui rend l’évènement plus attrayant et l’atteinte des objectifs possible, à la satisfaction des acteurs et des décideurs concernés par la lutte traditionnelle, un des leviers de la cohésion sociale et de l’unité nationale. En 1975, il n’y avait aucune arène sur toute l’étendue du territoire du Niger ; en 2024, des infrastructures qui accueillent les championnats nationaux et internationaux existent. Elles sont équipées de toutes les commodités et de tous les moyens de communication. Leurs aspects architecturaux accueillants et leur nombre impressionnant dans le pays n’existent nulle part dans le monde.
En 1975, les récompenses en numéraire accordées au champion, au vice-champion et à l’occupant de la 3è place étaient de zéro franc CFA chacun ; en 2024, elles sont respectivement de 12 millions, 7 millions et de 3 millions. En 1975, il n’y avait pas de dispositif antidopage ; en 2024, le dispositif existe, fonctionnel et opérationnel. L’utilisation de la vidéo confirme ou infirme les décisions des juges, sans contestation stérile, en cas de réclamation.
Quelle place peut occuper la valorisation du patrimoine culturel dans le processus actuel de refondation de l’État et de conquête de la souveraineté ?
Nous considérons que toute révolution culturelle s’accompagne de reformes hardies. Ce qui nous amène à dire que la valorisation du patrimoine culturel est pour le CNSP une incubatrice de mouvements et d’associations de jeunesse et d’éducation populaire. Il s’agit de susciter la création d’associations qui porteront les idéaux du CNSP, de les organiser en mouvements, cadres de sensibilisation, de conscientisation et de responsabilisation des jeunes et des femmes pour l’action visant la souveraineté nationale et l’indépendance véritable. Enfin, le peuple du Niger est un peuple qui vit ses réalités culturelles. Il est non violant, il respecte les autres peuples et les États qui les abritent dans leurs différences. La valorisation du patrimoine culturel est un tremplin qui permet au Niger de sauter plus haut pour réussir le programme de reconquête de la souveraineté nationale et de l’indépendance véritable.
Quelles sont alors vos recommandations ?
Tous les lutteurs qui participent aux différentes sélections relatives aux rencontres nationales et internationales viennent du monde rural. Après plusieurs rencontres auréolées de gloire, ils retournent dans leurs villages respectifs. Ils y vivent dans la misère. Pour remédier à cette situation, il est recommandé au Ministère chargé des sports d’entreprendre des négociations, en vue de l’obtention d’un statut pour les sportifs de haut niveau, sans exclusivité. Ce statut, qu’il ne faut pas confondre avec un fonds de développement sportif, pourra prévoir des mesures incitatives pour leur conversion. Il sera une base juridique pour les sportifs de haut niveau qui, par leur patriotisme, ont réalisé des performances leur donnant droit à des avantages sociaux, financiers, matériels et honorifiques.
Propos recueillis par Hamissou Yahaya