Le lendemain à vingt heures tapantes, tout le monde était là. Abdoul arriva quelques minutes plus tôt pour demander au gérant du bar, Georges, de lui arranger un coin spécial pour recevoir, une grande Dame très spéciale, disait-il. C’est un évènement ! En effet, personne n’avait vu Captain K en galante compagnie ici, ni même faire un brin de causette à ces serveuses qui, pourtant, bourdonnent autour de lui comme des abeilles .Les seuls échanges avec ces filles du bar, c’est pour exiger ses fameuses « crudités », c’est-à-dire ,des courgettes, concombres ,tomates, etc. Parfois aussi, pour demander plus de bullvit, du perrier ou des glaçons de pondeuses, pour son whisky. Et ça, c’est pour les jours où il est de bonne humeur. Sinon, son whisky, il le prend en général sec et aime le descendre « cul sec ». Il s’agit donc d’une grande première, et cela soulage beaucoup ses amis, en particulier Georges, qui aura, enfin, ses deux oreilles par rapport aux « orientations » ou « penchants » de Captain K. Les filles qui sont toutes folles de lui, constatant qu’il ne les calcule même pas, ont fini par conclure qu’il était Gay ou que « son chat n’attrape plus de souris », comme on dit à Kalcity. Georges, ne s’est pas fait prier deux fois se mettre à cœur joie à cette œuvre qu’il jugeait déjà salutaire. Non seulement c’est Captain Kalala, donc un personnage dont la proximité est un gage de sécurité pour son établissement contre ces hordes sauvages, qui se disent les Maîtres de KalCity by Night.
Cette prestigieuse présence annoncée, pourrait en plus lui faire une fort belle publicité, qui, plus est, gratuite. Georges et sa petite équipe ont donc mis les petits plats dans les grands pour aménager un vrai espace VIP. L’Adjudant-Chef Georges a trouvé là, une occasion de rappeler à ses camarades retraités ,habituels clients insolvables de son bar, qu’il a encore de beaux restes .Ses compétences ,reconnues de tous ,du temps où il gérait le Mess des Officiers des FAK ou la Salle Turquoise de l’Hôtel SAMATENORU, appartenant aux FAK, avant d’être « cédé » au Léopard dans le cadre de la Grande Réforme, dirigée par le Léopard (Abdoul l’a toujours désigné par le Salopard ) que justement Abdoul et ses amis ont farouchement et ouvertement critiquée. En plus, ce jour-là, un petit écriteau fut placé devant l’entrée de Délinquance-Bar avec l’indication : Soirée Privée. C’est encore une première, dans ce bistrot qui a la particularité, justement, de ne jamais fermer, quelle que soit l’heure de la nuit, et accessible à tous. Il fut un moment où Joe Palouka avait écrit à côté à l’entrée cette inscription « ENIVREZ-VOUS DE VIN ET DE POÉSIE ». C’est Abdoul qui l’avait arraché et cela avait créé un froid dans la petite bande, avant de se dissiper.
Maïrah arriva juste à temps, après que tout le dispositif concocté par le Maître de ces lieux pour la circonstance, ait été déjà mis en place. Seuls étaient présents, ce jour-là, les « vrais gars », c’est-à-dire ceux qui s’assoient toujours avec Captain K à sa table.
Enfin, la Princesse, est là ! Cela faisait penser à la fameuse légende Senghorienne « Elle est là ! Elle est là ! », parlant du train arrivant à la gare, et que les Toubabs tentaient de lui faire remarquer sa supposée faute de Français en lui disant « Monsieur, c’est le Train tout de même ? Puis l’Homme de Joal de leur asséner sa non moins cinglante réplique « Mais, voyons, Messieurs les Français, il s’agit bien sûr de la Locomotive, pardi !!! ».
L’entrée de Maïrah fit l’effet, d’un faisceau de lumières jaillisssant soudain, illuminant tous les alentours, c’était féerique ! Tout ce petit monde est comme pétrifié dans Délinquance-Bar ! Quelle classe ! s’exclamait-on à haute voix de toutes parts.
La table était bien garnie et quelques bons amis de Captain Kalala venaient rendre hommage à la belle sirène qui illumine ce décor ce soir. Tout ce qui se trouvait sur la table ne semblait pas intéresser Maïrah. Abdoul alors lui demandait si elle a quelques préférences particulières. Elle lui répond qu’elle préfère de l’eau pétillante. Des voix s’élevèrent dans une grande rigolade de soulards pour demander « c’est quoi encore une eau pétillante ? C’est une nouvelle liqueur ? hi ! hi ! hi !», tout le monde éclata de rire. Elle ajouta aussitôt « j’en ai dans ma voiture, je vais en chercher ». Abdoul lui prit la clé des mains pour y aller à sa place. Elle lui dit « ce n’est pas la voiture de ce matin tu sais ! Tu verras, c’est une Porsche Cayenne, vert émeraude avec des sièges marron clair, s’il te plaît ! Merci Gentleman ! », taquina-t-elle avec ce demi sourire qui fait ressortir ces petites cambrures mortelles à la commissure des lèvres.
Abdoul n’a eu aucune difficulté à retrouver cette voiture dont la vue lui coupa littéralement le souffle. Il se demanda « mais diable, quelle est cette femme, mystérieuse, avec des cylindrées aussi puissantes ? » En cherchant l’eau gazeuse, Abdoul retrouve un carton de bouteilles de champagne de luxe. Il ne put s’empêcher de laisser échapper un juron « Gnaaaaa !!!??? » qu’est-ce que je vois là….? Du Moët & Chardon, ici, à Kalcity, dans un bled pareil ? »
Il prit quelques bouteilles d’eau minérale pour Maïrah mais laissa la caisse de champagne dans la Porsche. Il pensait déjà trouver la preuve qu’elle est dans la catégorie des femmes entretenues, car il avait exclu la possibilité qu’elle soit une femme mariée dès l’instant où elle franchit la porte de Délinquance-Bar. Arrivé à la table avec les bouteilles d’eau, Maïrah lui dit, instantanément : « tu n’as pas vu la caisse de champagne ou quoi ? il fallait l’amener, je ne savais pas que tes amis seraient là, c’est pourquoi je ne t’en avais pas parlé auparavant. » Tous les « soulards » applaudirent comme s’ils n’attendaient que ça. Une aubaine venue fort à propos, un vendredi soir dans ce bar de noctambules de notoriété nationale et même sous –régionale. C’est la fête à Délinquance-Bar. Abdoul est heureux, mais un peu embêté par ses doutes. En plus, il n’a que modérément apprécié la façon dont elle lui : balancé cette remarque à propos de ses bouteilles de champagne. Mais, bon Prince, le capitaine laissa couler, comme ils disent entre « mecs». En plus c’est son invitée d’honneur. Joe Palouka, qui était resté étrangement lucide ce soir-là, en tous cas jusqu’ici, serait-on tenté de dire, demanda le silence pour son petit speech improvisé. Il leur dit ceci : « nous vous remercions chère Madame, pour l’honneur que vous nous faites, en venant partager ces moments avec nous, en ces lieux lugubres pour les gens qu’on appelle VIP comme vous. Nous ici, nous sommes des « gnoleurs » et aussi des Libres-Penseurs, certainement un peu fous, mais farouchement anti-système et notre Héros, ici présent, capitain K, est le Prototype le plus achevé d’ANTI-RIPOUX qui soit sur terre ; j’espère qu’avec vous il mettra un tout petit peu d’eau dans son Whisky, ha ! ha ! ha ! En partageant ces instants avec nous, vous témoignez ainsi à notre ami, à quel point vous l’estimez et surtout le respectez. Merci beaucoup. Maintenant on va vous laisser seuls pour avoir un peu de tranquillité notre fidèle et très très très cher ami. Alors vous autres, « balseurs, ziteurs et autres cocos, éternels profiteurs, du balai. »
Enfin seuls, chacun décochant son plus doux sourire à son vis-à-àvis. Ils rapprochèrent leurs sièges pour pouvoir causer tranquillement. Voilà qu’arrivent soudain des hommes en uniformes qui se mettent au garde-à-vous en bombant le torse, le regard droit et viril, criant à l’unisson « Mes respects Mon Capitaine ! ». Abdoul leur répond en bon militaire et les invita à s’asseoir. Ils s’exécutèrent.
Le temps que leur soit proposé quelque chose à boire, ils demandèrent la route et partirent. Ces visiteurs en tenue aussitôt partis, Maîrah posa, à brûle-pourpoint, la question qui lui brûlait la langue :
-Alors t’es un Militaire ?
-Ouais Madame ! répondit Abdoul un peu agacé, lui qui voulait garder cet aspect de sa vie, sous silence pour le moment.
-Donc les voyous qui m’ont agressée te connaissaient ?
-Non, je ne pense pas. Je t’expliquerai plus tard, si tu le veux bien.
-Alors tu as pu discuter de la question avec ton mari ? Enchaîna Abdoul, cherchant à faire diversion.
-Je n’ai pas de mari Monsieur ! C’est la réponse à ta question à Mille Dollars qui trottait dans ta tête depuis hier, non ? Je me trompe ? asséna Maïrah qui savait, à travers certains indirects, ce qu’il voulait savoir à son sujet depuis le jour de leur première rencontre. Elle continua, en ajoutant, « Et de toutes les façons, cela n’a plus de sens puisque tu n’es pas disponible. Excuse-moi de t’avoir fait cette proposition égoïste. C’est même déplacé, vu ton rang. Je ne pensais pas à mal, tu sais ! » Il est resté bouche-bée, elle lui a cloué le bec au propre et comme au figuré.
« Elle lit dans mes pensées ou bien c’est une sorcière ? d’ailleurs avec une telle beauté, c’est une Djinn sûrement », s’interrogeait Abdoul ?
Je t’en prie, Maïrah et sache que ta proposition au contraire, m’honore, parce que cela traduit quelque part ta confiance en moi et ça n’a pas de prix. Et d’ajouter dans un murmure « surtout de la part d’une telle splendeur…». Maïrah a bien sûr apprécié cette phrase murmurée, et lui sourit avec une telle grâce qu’Abdoul eût envie de la prendre dans ses bras. Elle était si craquante, surtout quand elle a cet air vulnérable !
-Dis-moi, pourquoi un officier de ton rang, passe-t-il son temps dans des coins pareils ? essayant de se ressaisir.
-Hum ! fit Abdoul en baissant la tête, puis la relevant, la regarda fixement, les yeux subitement devinrent rouges à faire peur à Maïrah, qui regretta sa question en constatant la sensibilité particulière de celle-ci.
-Tu sais, c’est une question très personnelle ! Mais je vais essayer de te faire un résumé par égard pour toi, car c’est vaste comme dossier, ajouta-t-il, comme pour édulcorer le ton solennel et grave de sa voix.
-A mon retour des études, il y a trois ans environ, la hiérarchie avait décidé de ne pas m’attribuer la moindre affectation, encore moins de responsabilité, sans qu’on me dise, ne serait-ce qu’une fois, ce qu’on me reprocherait. Alors même qu’en plus de mes études purement militaires, je suis titulaire de trois Masters, dont un en Intelligence Artificielle, un en Cybercriminalité. Fatigué de me demander le pourquoi du comment de cette situation, alors je me suis fait une raison. En bon croyant, pratiquant, je m’en suis remis à ALLAH SHWT et je n’en parle plus avec personne encore moins me plaindre. Par mes relations avec des camarades de promotion et des amis dans le monde, je suis régulièrement invité dans des conférences online, je participe à des publications dans des revues scientifiques prestigieuses, je collaborer à la réalisation d’ouvrages d’analyses des grandes tendances du monde, par exemple à GOBAL TRENDS, avec des spécialistes de haut vol dans divers domaines. Par exemple cette dernière publication est produite et actualisée tous les quatre ans. Je conseille, au niveau local, quelques structures ici-même à Kalcity. Et ça paie très bien, tu sais. Le reste du temps je me refugie ici, à Délinquance pour méditer. Il lui décocha un de ses sourires qui mit le feu dans les yeux de Maïrah, qui se disait instantanément, « C’est dingue !!! c’est fou comme il me plait ce mec !!! ». Pendant toutes les explications de Captain K, elle était subjuguée par ce « Prince des Ténèbres » si craquant ! quel mystérieux personnage !
Et Maïrah, de compléter Abdoul, «…et sauver les dames en danger ….» dans un éclat de fous rires, un des premiers qu’ils partagent ensemble.
Elle, attaqua, directe, « ce qu’on va faire, mon Capitaine, je propose que tu laisses tout cela et on crée, ensemble une société de sécurité, y compris sécurité contre la Cybercriminalité on en a besoin ici à Kalcity. On vient juste de se rencontrer, mais je crois que c’est un signe de DIEU ! Il n’y a pas une seule façon de servir son pays, de montrer son nationalisme mon cher ! Je pense sincèrement que tu dois mettre ton potentiel, tes compétences au service d’une cause noble. Et la sécurité urbaine à Kalcity est une cause nationale, ce qu’il y a de plus noble. Crois-moi, ta volonté farouche de faire bouger les choses trouvera un bon terrain pour se déployer.
Moi je vais voir avec Monsieur Le Président, il me doit bien ça je pense. Je vais faire en sorte d’organiser tout cela sans faire de vagues. Pour ma participation au capital, je te réserve déjà Un Milliard de Khatibis (soit Million de Dollars) et je te mets à disposition deux villas de Six cent mètres carrés chacune. Une servira de siège à la nouvelle entreprise et l’autre ton nouveau domicile que tu feras équiper à ta convenance. Tu décides et moi je fais. »
Proposition à laquelle Abdoul répliqua, sec, « n’essaie même pas d’y penser ! Je déteste totalement cette idée ».
-Je vois bien, coupa Maïrah, qui sent le sol se dérober sous ses pieds car elle croit la partie perdue d’avance, après cette dernière partie de la réponse d’Abdoul.
Georges qui était à son comptoir n’a pas manqué une virgule de leur conversation.
Il se dit « je ne peux pas ne pas réagir, Captain K ne peut pas continuer à faire le fier devant la réalité » et s’invita à la table du couple pour faire entendre raison à Abdoul pour une fois. « Mon Capitaine, il faut qu’on parle et c’est urgent. » Ce dernier semble comprendre ce que le vieux soldat est entrain de mijoter, se leva aussitôt, pris Georges par la main. Quelques pas plus loin, le Barman engagea la conversation. « C’est pour un tête-à-t-tête » de crise, lui dit-il, tout net. Georges fit signe à Joe Palouka, qui était à côté et qui est déjà « sur son cheval » bien assis, avec ses dizaines de verres de champagne au compteur, il « est déjà le roi du monde sur son cheval ».
Pour Joe, comme pour Georges, il faut trouver le moyen d’agir pour que Captain K revoie sa position par rapport à cette proposition de la Grande Dame.
L’adjudant-chef Georges fit un rapide résumé à Joe pendant que tous les trois se dirigeaient dans un coin du bar pour leur « huis clos ». Joe Palouka s’exlama haut et fort dans un langage d’une vulgarité ! « Ba gnagnokey, mon Capitaine, tu vas accepter, comment ça, tu ne vas accepter, un Milliard de Khatibis pour monter une société de sécurité pour nous sortir de la merde et toi tu fais la tête dure, c’est quelle bêtise ça ??? ». Et Georges de conclure dans la même ambiance des grossièretés du temps où ils combattaient ensemble sur les théâtres d’opérations où on n’a pas le temps de longues phrases soignées et compliquées. « Tu as entendu kô,mon Capitaine ? Ba mu son buruba ka na dji kô ? tu vas retourner là-bas, tu lui dis d’accord tout de suite. Nous allons te suivre dans cette affaire pour quitter cette vie de merde. Toi aussi, OGA, tu nous dois bien ça ! n’est-ce pas Joe ? » Joe acquiesça avec sa tête des mauvais jours, tout remonté contre le Capitaine, qu’il trouva puéril et un peu trop hautain à son goût ce jour-là.
(A SUIVRE)
ALI BOUKARI CONTI (ABC)