Ce n’est certainement pas l’évènement le plus important du Niger du point de vue historique. Surtout en le comparant au 3 août 1960, qui marque l’accession de notre pays à la souveraineté et à la liberté nationale. Mais force est de remarquer que les 18 décembre étaient mieux ‘’célébrés socialement et politiquement que toute autre fête, fut-elle du 3 août’’, comme le souligne un observateur de la scène politique nigérienne. Pour redonner à la célébration de l’anniversaire de la proclamation de la République tout son éclat d’antan, prêtons-nous au témoignage de ceux qui ont vécu l’évènement; ceux qui ont été marqués à jamais par cette page émouvante du Niger moderne.
Parmi ces rares personnes à qui «Dieu a prêté longue vie», il y a Soumana Marounfa, élève de 4ème en 1958, aujourd’hui à la retraite après avoir exercé plusieurs fonctions au Niger et à l’étranger dont celles d’inspecteur général de la Jeunesse et des Sports, de formateur des Formateurs à la Confédération Internationale de hand ball. Il fut également ancien Secrétaire général du Ministère de la Jeunesse (1983-1985) directeur de la jeunesse à la Confejes et expert de la Francophonie. N’oublions pas son mémoire écrit 1972 intitulé ‘’L’animation des Jeunes pour un développement global’’ qui a fait autorité dans un des volets de la politique du CMS notamment, la Samaria
‘’Le 18 décembre 1958? Ah oui, le beau temps ! J’étais sur les bancs de l’école au Cours Normal de Tahoua. A cette époque, tous les enseignants étaient des Blancs, du moins au cours normal, à l’exception d’un seul, un Noir martiniquais, mais qui avait un statut français. A vrai dire, à Tahoua, je n’ai pas remarqué un sentiment particulier de joie à la proclamation de la République. Même pour nous élèves qui avions la chance de comprendre ce que c’est une République en 1958. Ecoutez, il n’y avait pas de moyens de communication en dehors du bouche-à-oreille. Le poste de Radio (surtout pour nous qui sommes à des centaines de Kms de la capitale) était rare. La radio Niger même venait d’être créée.
Dans l’établissement du Cours Normal de Tahoua, en dehors du Directeur, personne n’avait un poste pour suivre les évènements nationaux. Peut-être les Européens. D’ailleurs, ce sont les Européens présents qui nous parlaient de l’actualité dont la proclamation de la République.
Pour être honnête, il n’y avait pas de changement dans les comportements, dans la vie quotidienne de la population. Le passage de colonisé au statut d’homme libre n’est pas perçu avec la proclamation de la République. On n’oublie cependant pas que le soir, les gens ont afflué à la Maison des Jeunes de Tahoua, puis la nuit venue, l’animation s’est faite au son des tam-tams. Pour me résumer au risque de me répéter, cela n’avait pas l’écho d’une grande fête ou d’un changement réel qu’on peut apprécier ou qui peut marquer l’histoire.
Les vacances arrivées, celles de juin 1959, nous étions rentrés au village par le même bus de la Transsaharienne. Là encore, notre état d’esprit n’avait pas changé. Mais les choses commençaient à avoir un début d’ouverture. Mais ailleurs. Par exemple en 1959, nous avons passé le brevet et le concours d’entrée à William Ponty avec, il me semble, moins de pression. ‘’J’ai réussi non seulement au brevet élémentaire, mais aussi au concours d’entrée à William Ponty et étais classé 4ème de l’ex-AOF. C’est cela que j’ai senti comme changement. Sur le plan administratif, des véritables changements se sont opérés. Pratiquement tous les administrateurs Blancs ont comme adjoints des administrateurs Noirs. Il y en a qui sont devenus des commandants de subdivision. Mais les noms des entités n’ont pas changé. C’est dire qu’au fur et à mesure que les ‘’colons’’ partaient, ils étaient remplacés par des Noirs. Je me rappelle que le dernier commandant à quitter son poste était celui de Doutchi, vers fin 1960.
Vous me demandez pourquoi le 18 décembre est fêté avec apparat, alors que, le 3 août qui est celle de l’accession à l’indépendance ne l’est pas. Je crois d’abord que les citoyens nigériens, dans leur majorité, n’ont pas été à l’école.
A cette époque, le taux d’alphabétisation est l’un des plus bas en Afrique. D’où souvent la confusion qu’on a faite à propos de ces deux fêtes. Les hommes politiques n’ont pas expliqué aux populations ce que c’est la République, ou même l’indépendance. Au niveau de l’Education, les professeurs, les pédagogues, eux aussi, se sont pas donné la peine d’expliquer le contenu de ce que renferment les mots République et Indépendance. Ceci fait que les élèves et étudiants avancent sans se préoccuper de ces terminologies. Cela est encore plus confus au niveau politique. A cette époque, Diori Hamani, à chaque fois qu’il s’adressait à la Nation à l’occasion d’un 18 décembre, c’était pour marquer les étapes qu’on a pu conquérir dans le développement économique. Il faut noter que le régime de Diori avait fait des performances dans l’économie, avec près de 74 sociétés d’Etat et d’économie mixte avec le slogan ‘’l’indépendance dans l’interdépendance’’. Donc, ce sont des discours- bilan qu’il dressait aussi bien pendant le 3 août que le 18 décembre.
Petit à petit, les fêtes du 18 décembre se sont affichées comme des évènements importants et incontournables. Je me rappelle les grandioses défilés de chameliers. Ceux-ci sont invités de Tahoua, Doutchi, Dosso, Filingué pour marquer au marbre, le 18 décembre. C’est une fête fantastique, avec un défilé militaire et un autre de la Jeunesse du RDA, patronné par des personnalités aussi célèbres que Abdou Gaoh et Djibrilla Hima ; tout Niamey était mobilisé à travers les structures politiques. D’ailleurs, les manifestations se déroulaient sur un terrain où se trouve aujourd’hui l’ONEP.
L’importance du 18 décembre, c’est surtout qu’il est greffé à la semaine de la jeunesse, organisé du 12 au 17 décembre. Elle mobilisait tout le Niger et toutes disciplines sportives y étaient organisées dans un enthousiasme général. L’autre message que le régime voulait faire passer, c’est qu’on reconnaisse Niamey comme la capitale du Niger…
Avec l’avènement du CMS, les 18 décembre ont quelque peu perdu de leur importance. En créant le festival artistique, culturel et sportif à la place de la semaine de la Jeunesse et surtout en l’organisant non pas les 18 décembre mais le 15 avril, date anniversaire de la prise du pouvoir par le CMS, l’évènement n’était marqué que par des prises d’armes le matin avec la veille un discours à la Nation.
Omar Ali(onep)