Mais M. Talon vous et quelques-uns de vos pairs vous vous méprenez (à dessein ?!) lamentablement sur les prérogatives et les attributions de la CEDEAO.
Celle-ci n’a pas mandat et n’a jamais reçu le mandat politique d’intervenir dans les affaires intérieures des États membres pour rétablir, en cas de changement de régime par les moyens non «démocratiques» (comprendre par un coup d’Etat essentiellement) je ne sais quel ordre constitutionnel et l’état de droit. Jamais les États membres de la CEDEAO n’ont entendu, dans ses textes fondateurs, transférer une portion de leur Souveraineté nationale sur cette question au niveau communautaire. La CEDEAO n’est pas le gendarme de l’état de droit et de l’ordre constitutionnel dans les Etats membres.
Ainsi il appartiendra à chaque État membre et à sa population de s’autodéterminer et de choisir leurs dirigeants par les voies, y compris la force, qu’ils auront eux-mêmes choisies ou voulues. Ainsi si l’accession au pouvoir par la force de leurs autorités ne lui convient pas il appartiendra à chaque peuple national et à lui seul de l’exprimer en toute liberté et de faire en sorte, par les moyens dont il dispose (rébellion, soulèvements, révolution, coup d’état etc.), de faire partir le régime qu’il jugera illégitime.
Autrement dit si un régime même démocratique venait à être renversé par la force il appartient au peuple soit de désapprouver par divers moyens d’expression les nouvelles autorités, soit au contraire de les accueillir favorablement en lui conférant une légitimité a posteriori par un soutien populaire massif comme c’est le cas en l’espèce (légitimité a posteriori ou post scrutin). Autrement dit encore, un régime même démocratique devrait pouvoir être balayé par un coup d’Etat (si c’est la seule voie comme en l’espèce) dès lors que la démocratie se trouve dévoyée et toutes les voies de justice et de contestation étouffées, les contre-pouvoirs inexistants. Pour qu’il y ait démocratie, il faut qu’il y ait participation du citoyen.
Si donc le peuple n’approuve pas la prise de pouvoir par la force et par la voie constitutionnelle il devrait avoir la latitude de manifester massivement pour rétablir le (la) président(e) renversé(e) dans ses fonctions. Or, la liberté de manifester qui est une liberté publique constitutionnelle en démocratie lui a été retirée sous le règne du régime déchu.
C’est pourquoi, même si on est en démocratie, la possibilité de destituer par la force un président élu est une garantie pour les peuples de s’affranchir d’un régime démocratique devenu tyrannique et totalitaire tel que fut le régime déchu. A défaut ce serait la porte ouverte à la tyrannie et à la dictature en démocratie de la majorité car il n’y a de pire tyrannie que celle qui est exercée à l’ombre des lois et de l’ordre constitutionnel avec les couleurs de la justice et l’état de droit vidé de sa substance. Même en démocratie le pouvoir peut être tyrannique et les dirigeants cruels.
On voit ainsi les limites et la complexité de l’exercice en démocratie consistant à vouloir vaille que vaille que l’ordre constitutionnel (sans chercher à connaître les soubassements) soit respecté et que l’accession au pouvoir des autorités légitimes ne se fasse nécessairement que par des voies dites démocratiques à savoir après un scrutin populaire.
Dès lors, en tout état de cause, il appartient donc au seul peuple nigérien de choisir librement ses dirigeants quel que soit leur mode d’accession au pouvoir et de leur apporter la légitimité nécessaire : soit a priori en cas de scrutin libre et transparent ; soit a posteriori après un coup d’état militaire ou civil (constitutionnel) par adhésion massive. En l’espèce, n’en déplaise donc au syndicat des chefs d’État de la CEDEAO, c’est une affaire nigéro-nigérienne.
Enfin et par ailleurs à considérer même que les États membres de la CEDEAO ont entendu transférer une partie de leur Souveraineté nationale (ce qui serait une première mondiale) en matière de rétablissement de l’ordre constitutionnel et de respect de l’état de droit, à une organisation communautaire dont la vocation est d’abord et avant tout économique, il conviendrait de mettre ses textes fondateurs (et additionnels) en accord avec le Droit international en l’occurrence le traité des NU. En droit international << Aucun État ni aucun organisme international n’a la latitude de juger de la légitimité ou de la légalité des dirigeants issus d’un changement de régime, quel que soit le mode opérationnel d’accession au pouvoir. ..>>. En droit international la légitimité des autorités de chaque Etat n’est donc pas, sous peine d’ingérence, à discuter par d’autres États quel que soit leur mode d’accession au pouvoir».
En France, le General De Gaulle avait bien mis fin, par un coup d’Etat militaire, au régime démocratique de la 4ème République caractérisé par le gouvernement des partis et l’instabilité gouvernemental.
Les Etats unis d’Amérique qui avaient déjà une longue tradition démocratique ne se sont pas pourtant insurgés contre ce mode d’accession au pouvoir par la force et n’ont pas qualifié d’illégale et d’illégitime l’autorité du Général de Gaulle. La suite est connue de tous. Ce coup de force fut favorablement applaudi par le peuple français dans sa majorité. Le salut du peuple français et la solidité des institutions républicaines de la Vème république dont se targuent les Français tiennent de l’ingénierie de De Gaulle et de son premier ministre d’alors Michel Debre.
Pour ceux qui veulent s’adonner aux comparaisons, n’y a-t-il pas une similitude entre la ferveur du peuple nigérien à l’égard des événements du 26 juillet et la ferveur du peuple français après son coup de force. Faisons le pari que les événements du 26 juillet permettront l’avènement d’une véritable démocratie plus vertueuse et saine plaquée sur nos réalités socioculturelles, débarrassée de toutes les tares du passé. Les événements du 26 juillet qualifiés par certains de «coup d’état de trop doit être le «coup d’état décisif». Et il revient au peuple nigérien, et à lui seul, d’en décider et d’y veiller.
Sur la base de l’analyse qui précède, les autorités déchues ont perdu naturellement toute forme de légitimité et par voie de conséquence elles n’ont aucun pouvoir pour représenter le Niger notamment au sommet de l’ONU. Pas plus que cette dernière, sur la base de la même analyse, ne peut s’autoriser, sans violer le traité l’instituant, à recevoir les autorités déchues, en l’occurrence le ministre des Affaires étrangères. Partant de là, l’ONU ne peut donc, sans outrepasser ses prérogatives, interdire aux nouvelles autorités légitimes du Niger de siéger à son assemblée générale.
Par ailleurs, il est enseigné dans les facultés de droit, en matière de hiérarchie des normes la primauté du droit international sur le droit communautaire et le droit national dans toutes les matières régies en même temps par ces ordres juridiques. En cas donc de contradiction ou d’incompatibilité entre la norme internationale et la norme communautaire, c’est la première qui prévaut.
En conséquence, le syndicat des chefs d’Etat de la CEDEAO n’est donc pas fondé ni pour contester (pas plus que les fonctionnaires onusiens qui n’ont d’autorité que sur leurs employés), la légitimité des autorités militaires nigériennes issues des événements du 26 juillet ni pour envisager une intervention militaire sous l’égide de la CEDEAO, sans violer le traité des NU, en l’absence d’une résolution préalable du Conseil de Sécurité de l’ONU autorisant une telle intervention. Dès lors les chefs d’Etat de la CEDEAO qui prétendent vouloir intervenir militairement au Niger au nom du respect, à géométrie variable, de l’état de droit et qui le font en violation flagrante et délibérée des traités (communautaire et international), n’ont pas l’autorité légale et légitime pour le faire. Par conséquent en cas d’agression militaire du Niger par ces États, ceux-ci (leurs chefs d’Etat et de gouvernement) devront en répondre devant les juridictions communautaires et internationales compétentes. Le Niger ne tolérera plus aucune violation du droit communautaire et international qui lui porte préjudice. Le Niger ne tolérera plus la violation en toute impunité des traités communautaires et internationaux.
ISSA MAHOMED-LAOUEL
Juriste en droit économique et des affaires,droit de l’immobilier et métiers de l’urbanisme